Boucle en raquettes par l’Alp Flix
L’Alp Flix se caractérise par la diversité de ses espèces et son isolement. Lors de cette randonnée en raquettes, la richesse de la faune, le silence et la beauté du paysage sont envoûtants. On peut s’imprégner des sommets alentour, écouter le cri d’un casse-noix moucheté, marcher sur les traces des Walser, se recueillir près de la petite église isolée de Son Roc et peut-être suivre des yeux un aigle royal qui plane élégamment en cercle au-dessus du haut plateau. Le petit village de Sur, sur la route du col du Julier, est le point de départ et d’arrivée de ce sentier raquettes balisé. Depuis l’arrêt de bus proche de l’église, on voit déjà le panneau de l’itinéraire n° 573 de «La Suisse à pied». Ici, on chausse ses raquettes pour suivre les piquets de signalisation roses en remontant le long du ruisseau. Ce chemin coupe un virage en épingle de la route de l’Alp Flix, qui ne s’emprunte en hiver qu’à pied, en motoneige ou en luge. Après un grand virage à gauche, on tourne à droite au point 1721, on s’enfonce dans la forêt et on part, après un petit pont, sur la route de gauche qui monte vers l’Alp Flix en passant par Plang Grond. Dès que les arbres deviennent plus petits, le terrain s’aplanit et le haut plateau s’offre peu après dans toute sa splendeur. Le balisage fait passer devant la petite église Son Roc et mène à l’auberge Piz Platta, à Tigias, un lieu idéal pour passer la nuit. Depuis Tigias, l’itinéraire se dirige vers le nord par le hameau de Tga d’Meir, puis vers le nord-ouest jusqu’à Cuorts, où commence la descente vers Sur. Le parcours suit le ruisseau de montagne Ava dallas Cuorts sur une pente abrupte. Un pont au point 1777 permet de changer de rive et de rejoindre peu après la route de l’Alp Flix. En coupant quelques virages, on arrive au village de Sur.
Cet hiver, la neige tombe presque sans interruption. Victoria Spinas, âgée de 54 ans, travaille au bord d’un vaste haut plateau. Chaque matin, depuis des jours, elle doit se frayer un chemin dans la neige. Armée d’une fraise à neige et de ses mains, elle transpire abondamment malgré le froid, car un bon kilomètre sépare l’étable de la maison. A peine le chemin est-il dégagé qu’elle peut recommencer. Comme si elle n’avait rien d’autre à faire, elle qui s’occupe chaque jour de plus de 80 bêtes, ce qui implique qu’elle se lève tous les matins à 6 h, et même plus tôt s’il a neigé. Ses dix vaches allaitantes l’attendent patiemment et l’accueillent avec un meuglement de bienvenue qui résonne loin à la ronde.
Le soleil orne les sommets alentour de halos de lumière étincelante. C’est le premier jour sans chutes de neige. L’épais manteau neigeux joue à l’innocent, il brille dans le paysage et ajoute de douces formes aux montagnes. Celles-ci encadrent le plateau à une distance raisonnable, ne donnant pas une impression d’étroitesse, mais plutôt d’étendue bienfaisante qui permet de respirer plus librement. L’Alp Flix est un endroit envoûtant et Victoria Spinas ne peut pas s’imaginer un plus beau lieu de travail, même si elle doit souvent puiser dans ses réserves d’énergie. C’est là qu’est sa vie, qu’elle a grandi et qu’elle est revenue après quelques années d’absence, dans le pittoresque Val Surses. Le haut plateau de l’Alp Flix s’étend sur environ 5 kilomètres carrés au-dessus du petit village de Sur.
Son Roc a tout sous les yeux
En hiver, aucune route publique ne mène à l’Alp Flix. Pour s’y rendre, on monte à pied depuis Sur, en raquettes ou à skis de randonnée. L’itinéraire serpente dans une forêt d’épicéas et de pâturages boisés. Sous la neige, elle ressemble à une forêt enchantée. Des cristaux de glace scintillent lorsque l’une ou l’autre branche se libère de son fardeau de neige. En marchant sans bruit, il n’est pas rare de croiser une harde de cerfs ou de chamois. Lorsque le terrain s’aplanit, c’est comme si un rideau s’ouvrait sur la scène qu’est l’Alp Flix. Il se peut qu’un cri exotique résonne si Lui s’est à nouveau trompé de période de parade nuptiale. Le fier paon de Victoria aime se faire remarquer. Sur une colline se dresse une petite église au milieu de nulle part, une vision idyllique. Son Roc, ou Saint-Roch, a sous les yeux tous les hameaux de l’Alp Flix: Cuorts, Tgalucas, Tga d’Meir et Salategnas. Entre ces deux derniers se trouve l’auberge de montagne Piz Platta, inscrite sur la carte nationale sous le nom de lieu-dit Tigias.
La maison de Victoria et une partie de ses étables se trouvent à Tga d’Meir et l’autre partie à Salategnas. Elle rêve d’une nouvelle étable, plus grande, qui permettrait de loger tous les animaux sous le même toit, juste à côté de sa maison, ce qui faciliterait énormément le travail. Elle cherche d’ailleurs des sponsors.
Une île aux trésors
Si l’Alp Flix est calme en hiver, ce n’est pas le cas en été depuis que le site a été catapulté sur le devant de la scène en juin 2000 par la Journée d’action pour la biodiversité organisée par le magazine GEO. Dans le cadre du projet «Schatzinsel Alp Flix», plus de 70 scientifiques avaient découvert en une seule journée 2092 espèces animales et végétales sur le haut plateau, dont quatre encore totalement inconnues: un scatopsidae ou moucheron, un psylle, une araignée et une limace. Depuis, les recherches se poursuivent assidûment chaque été. Victoria, agricultrice mais aussi accompagnatrice en montagne, encadre les personnes assoiffées de connaissances. La surprise? Nul ne s’attendait à une telle diversité à ces hauteurs, puisque l’Alp Flix se situe à près de 2000 mètres. L’idée scientifique selon laquelle la diversité diminue avec l’altitude a donc été réfutée. Jusqu’à présent, chercheuses et chercheurs ont recensé quelque 3500 espèces. Cette diversité s’explique notamment par la richesse des habitats contrastés qui s’assemblent comme une mosaïque. Les hauts marais et les bas marais côtoient les landes sèches, les lacs et les pièces d’eau sont proches de prairies grasses, maigres et marécageuses, les forêts avoisinent les broussailles, les zones exploitées jouxtent celles qui ne le sont pas. A cela s’ajoute la variété du sous-sol géologique. Mais pour l’heure, en hiver, tout sommeille sous un épais manteau neigeux.
Les Walser et le nomadisme
Maintenant que le tas de fumier et l’aire de sortie ont été déblayés, Victoria va s’atteler au nettoyage des étables. Son voisin Rolf, de Suisse orientale, sort de sa maison avec le petit-déjeuner, comme il le fait toujours lorsqu’il est là. Victoria, bien contente, réchauffe ses doigts autour du café chaud, boit quelques gorgées, mange un bout de tartine et poursuit son travail.
Depuis de nombreuses années, Rolf loue en hiver la maison de berger proche de l’étable et y passe beaucoup de temps. Les possibilités de randonnées, le silence et le charme des lieux, surtout en hiver, quand il n’y a plus autant de monde, l’enthousiasment.
Autrefois, les Tyroliens et les Italiens du nord venaient ici comme bergers pour la saison d’été, explique Victoria, qui évoque aussi les Walser qui s’étaient installés sur l’Alp Flix au milieu du XIVe siècle. Quelques lieux-dits et noms de familles allemands en témoignent encore. Les Walser ont été jusqu’à 200 à vivre sur le haut plateau. Mais à la fin du XVIIe siècle, ils abandonnèrent cet habitat permanent en raison du changement climatique, le petit âge glaciaire ayant fait à nouveau croître les glaciers. Ils descendirent à Sur, chez les Rhéto-romans, et ce fut le début d’une vie itinérante, d’une transhumance entre montagne et vallée. Selon l’endroit où il fallait faucher, les familles déménageaient avec sac et bagages, parfois en bas à Sur, parfois en haut sur l’alpage. Aujourd’hui, dix personnes, dont Victoria, vivent à nouveau toute l’année à l’Alp Flix.
Retour aux racines
Lorsqu’elle était jeune, Victoria a exploré le monde et travaillé dans une ferme au Brésil. «Le grand moment de ma vie», dit-elle en riant: «5000 vaches, 200 chevaux, sept gauchos et moi.» Elle est rentrée au pays pour donner des racines à ses enfants, s’est installée à l’année sur l’Alp Flix en 1998 et a construit sa ferme à côté de celle de sa sœur, avec des poules, des lapins, des canards, des oies, des vaches allaitantes, des chevaux et des paons. Elle aime sauver les animaux d’une existence misérable, comme Franz, le jars qui protège la ferme depuis douze ans. «Et Lui, le paon, qui donne de la couleur à ma vie», dit Victoria en souriant. Parmi eux, la paonne Pie, à qui Lui fait la roue au plus fort de l’hiver, en faisant claquer ses plumes et son arrière-train.
Peu avant midi, Victoria fonce en motoneige vers sa deuxième étable pour retrouver l’autre partie de ses animaux. «En hiver, nous sommes totalement livrés à nous-mêmes. C’est le jour et la nuit par rapport à l’été. Dès les premières chutes de neige et jusqu’en mai, la route ferme.» Lorsqu’ils allaient à l’école primaire, ses deux enfants descendaient en luge à l’aube jusqu’à Sur et Victoria allait les chercher à l’école l’après-midi en motoneige. Aujourd’hui, ils sont adultes et sa fille Francesca aime elle aussi l’agriculture, ce qui réjouit Victoria, pour qui l’entretien du paysage est essentiel pour la biodiversité. Hélas, précise-t-elle, du fait de l’urbanisation, les gens perdent peu à peu l’accès à la nature, ce qui rend la vie plus difficile là-haut, car ils ne se comportent pas de manière adéquate.
Vers 20 h, le travail est terminé. «J’aime observer les animaux sauvages et saluer les oiseaux migrateurs au printemps». Elle s’est liée d’amitié avec un renard. En été, il se déplace beaucoup ici et là mais dès l’automne, il vient régulièrement s’asseoir tout près d’elle et, pendant qu’elle discute avec lui, ses mimiques lui donnent l’impression qu’il l’écoute et lui répond.
Bon plan
Hôtelier du Berghaus Piz Platta de 2010 à 2020, Werner vom Berg a réuni photographies et recettes dans un magnifique ouvrage. Il donne aussi la parole à des personnes de la région et à des visiteuses et visiteurs réguliers qui décrivent leur fascination avec poésie et sensibilité. «Sehnsucht Alp Flix», éditions Fona, est disponible au Berghaus Piz Platta.