Randonner au pas de charge
Sur le papier, mon programme était optimal. Il me suffirait d’emmener mon fils chez ses grands-parents à 8h et de l’y rechercher à 18h; soit dix heures pour effectuer les trajets aller jusqu’au Saut-du-Doubs et retour depuis La Chaux-de-Fonds, avaler les quelque 15 km (et 800 mètres de montée) de la randonnée, faire une bonne pause pique-nique et prendre les photos destinées à illustrer mon reportage. Un timing serré, certes, mais parfaitement réaliste.
Les choses se sont gâtées moins d’une demi-heure après le début de la marche, avant même d’avoir atteint le Haut des Roches. Un instant d’inattention, un losange jaune légèrement délavé par les aléas de la météo, et me voilà déjà sur le mauvais sentier. Je dois m’y reprendre à trois fois pour revenir dans le droit chemin. Un coup d’œil à mon téléphone portable me révèle qu’il va falloir accélérer la cadence si je compte tenir l’horaire. Ce que je fais de bon cœur: quoi de plus agréable que de progresser dans la forêt d’un bon pas, portée par l’air vivifiant de la nature et le chant des oiseaux?
Parvenue au Belvédère, je déballe mon casse-croûte et engloutit à vive allure sandwich et crudités. D’une part parce que cette marche rapide m’a creusé l’appétit, de l’autre parce que la secrétaire en poste dans ma tête m’apprend que j’ai toujours un peu de retard sur mon programme de chef d’Etat. Je me remets en route. Non sans avoir dégainé mon appareil photo afin d’immortaliser la vue sur le Doubs en contrebas, ni être allée me soulager un peu plus loin à l’écart du chemin, dans la forêt.
J’attaque alors le tronçon de 2,5 km longeant les Côtes de Moron, le seul de cette randonnée à être balisé blanc-rouge-blanc. Une demi-heure plus tard, j’atteins un dégagement offrant un panorama séduisant. J’ouvre mon sac à dos afin d’y pêcher mon appareil photo. J’ai beau fouiller mon paquetage, puis finir par vider son contenu à même le sol, je fais chou blanc. Je tente de visualiser mentalement la dernière fois que j’ai eu le précieux objet électronique entre les mains et suis prise d’un fou rire nerveux devant l’absurde évidence: je l’ai posé par terre à côté de moi lorsque je suis allée faire mon petit tour derrière les arbres après la pause-repas.
Je tourne les talons, direction le Belvédère. Cette fois, l’allure est carrément militaire. Je reviens à ma place de pique-nique en un temps record et commence à fouiller frénétiquement sous le couvert des arbres. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin… Apparemment, j’ai emmené ma bonne étoile ce jour-là: contre toute attente, je finis par dénicher mon appareil photo sur un tapis de mousse. C’est reparti pour un tour! Je n’ai même pas besoin de consulter l’heure pour savoir que si je veux attraper le train prévu à La Chaux-de-Fonds, il me faudra courir dès que j’aurai passé le délicat segment blanc-rouge-blanc. Soit sur plus de sept kilomètres, chaussée de mes souliers de montagne rigides et chargée d’un gros sac.
Lorsque je saute in extremis dans le train une heure plus tard, je suis en nage et épuisée. C’est à peine si j’ai le courage de répondre à mon téléphone qui sonne. Une petite voix pleine d’énergie me demande: «Dis Maman, ce soir, on va jouer au foot?»
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